Grand-mère feuillage et son univers

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Grand-mère feuillage et son univers

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Par Marie-Claude Valiquette, pour Jardin Pro

Le Séquoia, vous connaissez? Ce conifère gigantesque peuple la côte ouest des États-Unis et du Canada. Il peut atteindre 80 mètres et s’appuie sur un tronc si énorme que huit adultes parviendraient à peine à l’enlacer. Quiconque s’enfonce dans l’une de ces forêts se trouve submergé par l’immensité et le calme de mère nature. Ces arbres semblent toucher le ciel et soutenir l’histoire du monde. Une impression qui, tout compte fait, n’est pas si loin de la réalité…

Plusieurs communautés de la côte du Pacifique considèrent ces conifères comme étant sacrés. Même après l’avoir côtoyée toute une vie, les habitants portent à la forêt un respect qu’on ne perçoit que très rarement chez nous. Dans notre chaos quotidien, nous regardons ces grands feuillus comme un tas de branches entassées sur un territoire limité, destiné à l’exploitation industrielle. La considération des arbres en tant qu’êtres intelligents se transmet tout au plus dans les contes et les légendes qu’on raconte aux enfants, comme celui de Pocahontas. Cette princesse de Walt Disney, fille d’un chef d’une tribu « sauvage », demande conseils et s’inspire de la grande sagesse d’un saule pleureur, appelé Grand-Mère feuillage.

Pourtant, les scientifiques affirment aujourd’hui que ces anciens contes n’ont pas tout faux. Les arbres portent bel et bien un savoir, une capacité de ressentir et de partager. À l’Université de Vancouver, la professeur Suzanne Simard travaille sur le sujet depuis maintenant une trentaine d’années. Ce qu’elle a prouvé bouscule notre conception moderne de mère-nature.

Tout commence avec le mycélium. Cet ensemble de filaments fongiques colonise les racines et couvre l’entièreté d’une forêt. Il constitue un gigantesque réseau internet ancestral par lequel les arbres communiquent et s’échangent des données. Si majestueuse soit la nature qui s’impose autour de nous, c’est sous nos pieds que s’agite le système tout entier; un organisme autonome, calme et cohérent.

C’est par cet immense cerveau que les arbres parviennent à s’échanger des messages et des nutriments, assurant la survie des nouvelles générations. Ce réseau possède des nœuds, que Simard appelle les « arbres-mères ». Ces ancêtres peuvent prendre en charge une centaine de jeunes arbres à la fois. D’autant plus remarquable, on constate un phénomène de reconnaissance maternelle. Il semblerait qu’un arbre-mère priorise sa propre famille avant celle des autres. Il « allaite » ses rejetons avec les nutriments dont ils ont besoin pour survivre et grandir.

L’échange des arbres ne se limite pas qu’aux nutriments, mais s’étend jusqu’au partage d’informations bien plus complexes. Des savoirs anciens, accumulés depuis des siècles, sont transmis de génération en génération. La communication permet donc à la communauté tout entière de se prémunir contre les éventuelles attaques et situations de stress. Ils peuvent, par exemple, couvrir leurs feuillages d’un tanin au goût désagréable qui repoussera un chevreuil trop gourmand. On a d’ailleurs découvert que les arbres-mères blessés ou mourants envoient des « messages de sagesse » à la plus jeune génération. Ces messages, composés de carbone et de signaux de défense, augmentent la résistance au stress des petits feuillus.

Ainsi, les anciennes croyances ont rattrapé la science. Protéger et reconnecter avec nos forêts permet d’abriter et nourrir la faune, de nettoyer l’air qu’on respire, et surtout, de soutenir et perpétuer tout un héritage de savoirs que détiennent nos Grands-Mères feuillages.

Pour en savoir plus,

Conférence de Suzanne Simard à Ted Talks :
https://www.ted.com/talks/suzanne_simard_how_trees_talk_to_each_other/transcript?Elif&language=fr#t-588417

Article par Alexanser B. Kim et Lauren Kaljur, étudiants de l’Université de Colombie Britannique UBC :
https://thethunderbird.ca/2016/03/30/ecologist-studies-underground-networks-to-heal-b-c-forest/